Maladies de civilisation : impacts des facteurs environnementaux et du stress chronique sur la santé
Maladies de civilisation : impacts des facteurs environnementaux et du stress chronique sur la santé
Dans notre société moderne, des maladies ont émergé de façon importante depuis le début du XXe siècle. Elles sont bien connues maintenant, diagnostiquées et traitées, mais leur étiologie reste encore difficile à déterminer. Il est admis aujourd’hui que les maladies de civilisation1 sont étroitement liées aux modes de vie des sociétés modernes.
Le constat est clair : la fréquence d’apparition de ces maladies peut être corrélée avec l’industrialisation (pays occidentaux ou pays adoptant des modes de vie similaires) et l’augmentation de l’espérance de vie, même si ce dernier critère tend à s’inverser aujourd’hui, notamment en Amérique du Nord… justement sous l’effet de ces pathologies.

Facteurs environnementaux : comprendre les maladies de civilisation
L’alimentation moderne est une des causes principales de leur apparition, ce qui a été démontré déjà dans les années quatre-vingt, notamment en observant des populations migrantes au sein desquelles ces maladies apparaissent dès lors qu’elles adoptent des habitudes alimentaires occidentales2.
Un autre facteur comme la pollution environnementale affecte considérablement la santé. C’est ce que démontre une étude publiée dans Environmental Research en février 20213 qui indique que 8,7 millions de décès prématurés en lien avec la combustion des énergies fossiles (particules fines) sont à déplorer en 2018, ce qui représente, pour un pays comme la France, près de 100 000 décès sur un an.
Les habitudes de vie (tabac, drogue, sédentarité…) participent aussi grandement à l’émergence de ces maladies. Comme le souligne André Cicolella4, aujourd’hui dans le monde, « deux décès sur trois sont le fait des maladies chroniques (maladies cardiovasculaires ou respiratoires, cancers, diabète…). En France, ces maladies progressent quatre à cinq fois plus vite que le changement démographique. Le cancer touche un homme sur deux et deux femmes sur cinq. »
Pour ce chimiste, toxicologue et chercheur en santé environnementale, ces maladies ne sont ni un simple effet du vieillissement ni une fatalité, nos modes de vie modernes et particulièrement notre environnement sont en cause. Particules fines, perturbateurs endocriniens, produits de synthèse dans l’agriculture et alimentation transformée sont autant d’éléments nouveaux auxquels notre organisme doit s’adapter depuis à peine quelques décennies.
Stress chronique : un catalyseur des maladies de civilisation
Le stress, qui augmente avec les rythmes de plus en plus soutenus des sociétés modernes, est aussi un facteur important dans la genèse de ces maladies, car il sollicite le système neuroendocrinien mais aussi le système immunitaire lors de réponses physiologiques nécessaires dans toute agression, qu’elle soit biologique ou psychique. Les chercheurs s’intéressent de plus en plus à l’effet du stress chronique sur la santé, tant au niveau des maladies chroniques, des maladies de civilisation que des maladies infectieuses.
Une étude, publiée en 2020 dans le Journal of Experimental Medicine par une équipe de chercheurs français5, suggère que les récepteurs β2-adrénergiques stimulés par les hormones du stress inhibent la réponse des cellules Natural Killer (NK), les empêchant de produire un type de cytokine particulier nécessaire à l’élimination des virus. Cela ne peut que nous interpeller à l’heure où l’apparition d’une pandémie questionne sur les moyens à mettre en œuvre pour la contenir.
Il serait aussi intéressant de se poser la question de l’état de santé des populations plus sensibles à ces virus, la comorbidité étant un facteur aggravant du risque sur ces maladies infectieuses. Et l’on sait que la plupart des comorbidités sont en lien avec une maladie de civilisation.
Le stress chronique, amplifié par les rythmes modernes, aggrave les déséquilibres à l’origine des maladies de civilisation.
La mortalité causée par les maladies de civilisation est de plus en plus importante et n’est pas liée, comme il a déjà été dit plus haut, au seul vieillissement de la population et à son espérance de vie qui décroît. D’après Magali Barbieri, directrice de recherche à l’Ined6, on constate ce phénomène « depuis les années 2000 aux États-Unis où l’espérance de vie à la naissance a cessé d’augmenter à partir de 2010. Depuis 2014, la tendance s’est même inversée pour les hommes chez qui on observe une diminution de l’espérance de vie.
La position des États-Unis s’est détériorée par rapport aux autres pays de l’OCDE dans lesquels cet indicateur a continué à augmenter. On constate que le décrochement des États-Unis a commencé vers 1980 et il s’est progressivement aggravé. Non seulement les États-Unis se sont éloignés de plus en plus de la moyenne des pays de l’OCDE (hors Europe de l’Est), mais depuis 2005-2006, leur espérance de vie est même inférieure à celle des pays les plus désavantagés (le Portugal pour les hommes, le Danemark pour les femmes)7 ».
Si les facteurs évoqués plus haut ne sont plus discutés par la communauté scientifique dans sa grande majorité, nous devons nous interroger sur la rapidité avec laquelle l’humanité a dû assurer son développement en l’espace de deux siècles et sur la capacité de l’être humain à s’adapter à de tels changements en si peu de temps à l’échelle de son évolution.
Dans la première moitié du XXe siècle, les grandes épidémies régressent grâce aux progrès de la science et à l’amélioration de l’hygiène individuelle et collective. Les maladies infectieuses (tuberculose, variole, grippes très virulentes…) sont contenues, voire éradiquées. De ce point de vue, l’état des populations du monde occidental s’améliore nettement pendant plusieurs décennies.
La période des Trente Glorieuses, de 1945 à 1975, caractérisée par une forte croissance économique et par l’augmentation du niveau de vie dans la grande majorité des pays développés (Europe et Amérique du Nord), voit émerger des pathologies, connues, mais peu présentes auparavant. Maladies métaboliques (cholestérol, diabètes), cancer, etc., font leur apparition dans des proportions inquiétantes, au point que, depuis quelques années, on parle même d’épidémie pour caractériser ces maladies (près de 10 millions de morts du cancer, tous cancers confondus, dans le monde en 2018).
La population mondiale, certes, augmente de façon exponentielle, passant de 1,6 milliard d’habitants en 1900 à 7,9 milliards fin 20218, mais le nombre d’individus souffrant de certaines pathologies augmente de façon significative, et différemment selon le type de société dans lequel ils vivent. Aujourd’hui, parmi les principales causes de mortalité dans le monde, les maladies de civilisation sont bien plus représentées que les maladies transmissibles, comme c’était le cas au début du XXe siècle.
Les principales causes de mortalité dans le monde en 20199 sont :
- Cardiopathies ischémiques : 9 millions.
- AVC : 6 millions.
- Bronchopneumopathie chronique obstructive : 3,5 millions.
- Infections des voies respiratoires basses : 2,6 millions.
- Affections néonatales : 2 millions.
- Cancer de la trachée, des bronches, du poumon : 1,8 million.
- Alzheimer et autres démences : 1,7 million (65 % de femmes pour Alzheimer).
- Maladies diarrhéiques : 1,6 million.
- Diabète sucré : 1,5 million.
- Maladies rénales : 1,4 million.
À titre de comparaison, en 2020, la COVID-19 aurait fait, selon une estimation de l’OMS10, environ 3 millions de morts (alors que le chiffre déclaré et relevé, toujours par l’OMS, est de 1,8 million de morts), cette évaluation semblant plus proche de la réalité pour l’Organisation.
Comparée au total de décès des dix premières causes de mortalité (31,1 millions), la COVID-19 représente environ 10 % de la mortalité. Si l’on ajoutait les autres causes de décès par maladie, au-delà de ce classement, et les causes accidentelles, ce pourcentage se réduirait encore plus.
D’après le rapport de l’OMS sur les dix premières causes de mortalité dans le monde publié en décembre 2020, on constate une augmentation spectaculaire : « La part de décès dus au diabète [neuvième cause] ayant augmenté de 70 % depuis 2000, cette maladie chronique fait pour la première fois partie des dix principales causes de mortalité. Le nombre d’hommes morts du diabète a par ailleurs augmenté de 80 % depuis 2000, ce qui constitue la plus forte hausse des décès chez les hommes enregistrée dans le tableau des dix principales causes de mortalité ».
Il en est de même pour les cardiopathies ischémiques « qui sont la première cause de mortalité à l’échelle mondiale. Les décès dus à ces maladies sont ceux qui ont le plus augmenté depuis 2000, passant de 2 millions cette année-là à 8,9 millions en 2019 », comme l’indique ce rapport.
La cardiopathie ischémique est souvent la conséquence d’une mauvaise hygiène de vie, telle que la sédentarité, le tabagisme ou l’alcoolisme chronique, l’hypercholestérolémie, le stress ou l’obésité. Ces facteurs induisent une accumulation de graisses dans les artères. D’autre part, le diabète et l’hypertension artérielle favorisent également l’apparition de ce type de pathologie.
Dans la liste précédente, on remarque également que seules trois maladies transmissibles y figurent (infections pulmonaires basses, affections néonatales et maladies diarrhéiques), en quatrième, cinquième et huitième position. L’étiologie des autres maladies étant à rechercher ailleurs que dans la transmission (contagion) d’un individu à un autre.
Ce rapport propose aussi un autre classement en fonction de critères économiques, avec quatre catégories allant des pays aux plus faibles revenus par habitant aux pays aux revenus les plus élevés par habitant. La répartition des maladies n’est alors plus la même. On constate, pour les pays à « hauts revenus11 », que les dix premières causes de mortalité sont :
- Cardiopathies ischémiques.
- Alzheimer et autres démences.
- AVC.
- Cancer de la trachée, des bronches, du poumon.
- Bronchopneumopathie chronique obstructive.
- Infections des voies respiratoires basses.
- Cancer du côlon et du rectum.
- Maladies rénales.
- Cardiopathie hypertensive.
- Diabète sucré.
Seule une maladie transmissible apparaît ici (6), alors que d’autres maladies remontent dans le classement (Alzheimer) ou apparaissent (cancer du côlon et du rectum, cardiopathie hypertensive). Il y aurait donc bien une prévalence de certaines maladies en fonction du niveau de vie des pays.
Ce constat n’est pas nouveau, mais il devient plus évident encore à la lumière de ce rapport. Les sociétés occidentales ou les pays ayant adopté les modes de vie des pays développés présentent au sein de leurs populations des pathologies bien spécifiques qui peuvent être, pour une bonne partie d’entre elles, corrélées avec un mode de vie et un environnement particulièrement modifiés depuis un siècle.
Les maladies de civilisation, qui portent bien leur nom, sont certainement le fruit d’une évolution fulgurante (à l’échelle de l’histoire de l’humanité) à laquelle l’homme ne s’est peut-être pas encore adapté. En a-t-il vraiment eu le temps et y parviendra-t-il jamais ?
Conclusion
La transformation de nos sociétés modernes est tellement rapide qu’elle ne permet pas une adaptation de l’organisme, si tant est qu’il puisse vraiment s’adapter biologiquement à de tels changements en un temps si court. Le processus qui mène à la maladie dépend de nombreux paramètres qui peuvent être plus ou moins perturbés et modifiés durablement, tant au niveau environnemental que biologique, et auxquels il est pourtant vital de s’adapter.
La maladie ne ferait-elle pas alors partie de la logique d’adaptation ? Ne serait-elle pas un passage nécessaire et obligé pour l’homme au cours son évolution, comme lors de grandes épidémies, à la suite desquelles son immunité s’est renforcée ?
La question est de savoir si certaines étapes dans l’évolution morbide ne sont pas irréversibles, l’enjeu étant d’agir en amont, préventivement pour éviter une dégradation trop rapide de la santé. La maladie, au cours des premières phases de son apparition, peut être considérée comme une variable d’ajustement d’un individu en cours d’adaptation.
Selon ses ressources énergétiques, son terrain, ses capacités psychiques, celui-ci peut se stabiliser et se renforcer ou, au contraire, évoluer défavorablement et s’affaiblir. L’approche préventive de la santé, dans une vision holistique, permet d’offrir des solutions en amont afin d’endiguer les maladies de civilisation.
1 Maladies cardiovasculaires, AVC, cancer, obésité, diabète de type 2, maladie d’Alzheimer, hypertension, arthrose, arthrite, athérosclérose, asthme, hépatite, maladie de Crohn, syndrome métabolique, insuffisance rénale chronique, ostéoporose, dépression, etc., sont autant de pathologies considérées comme des maladies de civilisation.
2 BURKITT, D. P., « Western diseases and their emergence related to diet », South African Medical Journal, vol. 61, n° 26, 1982, p. 1013-1015.
3 VOHRA, K., VODONOS, A., SCHWARTZ, J., MARAIS, E. A., SULPRIZIO, M. P., & MICKLEY, L. J., « Global mortality from outdoor fine particle pollution generated by fossil fuel combustion: Results from GEOS-Chem », Environmental Research, vol. 195, 2021.
4 CICOLELLA André, Toxique planète – Le scandale invisible des maladies chroniques, Seuil, 2013.
5 Wieduwild, E., Girard-Madoux, M. J., Quatrini, L., Laprie, C., Chasson, L., Rossignol, R., Bernat, C., Guia, S., & Ugolini, S., « β2-adrenergic signals downregulate the innate immune response and reduce host resistance to viral infection », Journal of Experimental Medicine, vol. 17, n° 4, 2020.
6 Institut national d’études démographiques.
7 BARBIERI Magali, « La baisse de l’espérance de vie aux États-Unis depuis 2014 », Population et Sociétés, n° 570, Ined, octobre 2019.
8 https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/tous-les-pays-du-monde
9 Organisation mondiale de la santé. Les 10 principales causes de mortalité. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/the-top-10-causes-of-death
10 World Health Organization. The true death toll of COVID-19: estimating global excess mortality. https://www.who.int/data/stories/the-true-death-toll-of-covid-19-estimating-global-excess-mortality
11 The World Bank. World Bank Country and Lending Groups. High-income economies ($12,696 or more). https://datahelpdesk.worldbank.org/knowledgebase/articles/906519